Lettres ouvertes et partages...
"L'écologie, garante et éducatrice de notre liberté". Parue sous le titre " L’écologie n’est pas une mère fouettarde". William Clapier. La Croix, mai 2024
Le don de la diversité... - Janvier 2024 - Yannick Lapierre
Protéger la lumière naissante... - Décembre 2023 - Yannick Lapierre
Lettre ouverte aux humains... - Novembre 2023 - Yannick Lapierre
Le don de la diversité... - Janvier 2024 - Yannick Lapierre
Protéger la lumière naissante... - Décembre 2023 - Yannick Lapierre
Lettre ouverte aux humains... - Novembre 2023 - Yannick Lapierre
"L'écologie, garante et éducatrice de notre liberté"
Tribune de William Clapier, essayiste, parue sous le titre "L’écologie n’est pas une mère fouettarde"
dans La Croix du 2/05/24
Tribune de William Clapier, essayiste, parue sous le titre "L’écologie n’est pas une mère fouettarde"
dans La Croix du 2/05/24
Bien que l’écologie suscite une prise de conscience collective, William Clapier, membre de Chrétiens unis pour la terre, regrette qu’elle provoque en même temps un rejet chez une part croissante de la population. Il affirme que, loin d’être punitive et liberticide, l’écologie éduque notre liberté au respect de la vie.
William Clapier, le 02/05/2024 à 17:05
Alors que l’aggravation des phénomènes climatiques extrêmes est patente et que l’impréparation des États pour y faire face est pointée par les instances officielles (1), l’écologie provoque un étrange rejet d’une part croissante de la population (2). On parle de « backlash écologique » (rejet écologique) ou de « greenblaming » (l’écologie bouc émissaire de tous les maux). Vision désastreuse, symptomatique d’un déni du dérèglement du système Terre et de ses causes liées aux activités humaines.
Bien plus qu’un simple « problème » à résoudre avec quelques mesures sectorielles et autres ajustements technologiques, la crise écologique est une crise de l’humanité, de sa manière de faire humanité au sein de son habitat naturel, la Terre. Ce qui survient à notre planète est le syndrome d’une dérive sécessionniste avec la nature dont nous faisons partie (Laudato si’ 139 ; Laudate Deum 26) car « Dieu nous a unis à toutes ses créatures » (Laudate Deum 66).
Guide essentiel sur les voies de la résilience sociétale, l’écologie en tant que science communique les données objectives sur l’état de santé des écosystèmes terrestres. En cela, elle nous initie à l’intelligence du vivant, aujourd’hui gravement mis à mal. Experte en sciences de la nature, l’écologie est enseignante de vie. Non une mère fouettarde. Moins encore une instance répressive. Que veulent dire alors les réfractaires aux communications du Giec, de l’IPBES et autres instances scientifiques, qui dénigrent leurs recommandations en termes d’adaptation et plus encore d’atténuation ?
Une écologie « punitive » ?
L’écologie serait-elle « punitive » parce qu’elle nous convierait à quitter un mode de vie insoutenable pour la planète ? Serait-elle « liberticide » parce qu’elle nous ouvre les yeux sur une « dépollution intérieure » à réaliser dans l’espace de nos schémas mentaux conditionnés à consommer toujours plus ? Serait-elle « moralisatrice » parce que révélatrice – c’est un fait – des dérives écocides d’une culture dans laquelle nous sommes tous plus ou moins compromis ? Le drame écologique est le miroir de ce que nous infligeons à la Terre et à nous-mêmes par la chosification mercantile d’une nature externalisée. « En traitant la nature comme hors de nous-mêmes, on se nie nous-mêmes » (Catherine Larrère). Se couper d’elle, c’est se mutiler.
C’est l’immobilisme et plus encore le rejet de l’écologie qui est « punitif » en nous exposant à subir toujours davantage des lendemains qui déchantent. Nullement punitive ni liberticide, l’écologie délivre le sens de notre liberté parce qu’elle nous responsabilise dans l’indissociable lien nature-humanité. Notre humanisation est un chemin personnel, soucieux de la révérence due à tout ce qui vit et respire, à commencer par notre proche entourage. Sans oublier nos proches en humanité les plus éloignés géographiquement. En particulier, celles et ceux qui subissent de plein fouet les chocs socio-environnementaux avec les prémices d’un tragique exode climatique.
Celles et ceux qui endurent l’extraction effrénée des richesses de leur sol dans les conditions de travail les plus sordides. Richesses minières destinées pour la plupart à inonder nos grandes surfaces commerciales de smartphones et autres articles high-tech. Leurs terres étant aussi la poubelle de nos déchets plastiques et autres produits dégradés. Voudra-t-on taire ou relativiser cette réalité scandaleuse parce qu’elle remet en question nos modes de vie ? Les oreilles de notre cœur peuvent-elles rester sourdes à de telles détresses ?
Elle éduque notre liberté
L’écologie est aux antipodes de toute considération « punitive ». C’est un oxymore que de l’affirmer. Quant aux décisions dites de « transition écologique », celles-ci sont effectivement des contraintes injustes voire irrecevables lorsqu’elles sont socialement et politiquement déconnectées des réalités locales, sans concertation véritable en amont auprès des populations ni mesures d’accompagnement auprès des plus modestes.
Dans un contexte d’inquiétant détricotage de nombreux textes ayant une portée environnementale, les prochaines élections européennes seront-elles l’occasion d’assumer un engagement politique résolu vers l’incontournable changement civilisationnel à opérer avant qu’il ne nous soit brutalement contraint, avec son lot de violences et de dystopie collective ? La mutation sociétale pour le meilleur suppose « un nouveau processus radical, intense et qui compte sur l’engagement de tous » (Laudate Deum 59). Celui d’une conversion spirituelle animée d’une conscience universelle concrétisée tant dans le champ ecclésial que socio-politique. L’écologie, la transformation éthique qu’elle induit, ne délaisse personne. Elle intègre l’ensemble du vivant, dont nous faisons partie.
Loin d’être répressive, l’écologie éduque et oriente notre liberté au « respect de la vie » (Dr Albert Schweitzer). Par sa fonction informative et régulative, elle éveille notre esprit à une heureuse démarche régénératrice au bénéfice de la totalité de notre habitat commun. Par suite, elle inspire une action résolument solidaire de tout humain et de tout être vivant. Comment douter encore qu’il y ait urgence en la matière et que chacun doive y contribuer selon son domaine de compétence et son périmètre d’influence ?
(1) Voir les derniers rapports de l’Agence européenne de l’environnement et de la Cour des comptes.
(2) Selon l’enquête de L’Obs’Cop de juin 2023, 37 % de la population ne croit pas à l’origine humaine du réchauffement climatique. Un pourcentage en hausse de 8 points en un an.
William Clapier, le 02/05/2024 à 17:05
Alors que l’aggravation des phénomènes climatiques extrêmes est patente et que l’impréparation des États pour y faire face est pointée par les instances officielles (1), l’écologie provoque un étrange rejet d’une part croissante de la population (2). On parle de « backlash écologique » (rejet écologique) ou de « greenblaming » (l’écologie bouc émissaire de tous les maux). Vision désastreuse, symptomatique d’un déni du dérèglement du système Terre et de ses causes liées aux activités humaines.
Bien plus qu’un simple « problème » à résoudre avec quelques mesures sectorielles et autres ajustements technologiques, la crise écologique est une crise de l’humanité, de sa manière de faire humanité au sein de son habitat naturel, la Terre. Ce qui survient à notre planète est le syndrome d’une dérive sécessionniste avec la nature dont nous faisons partie (Laudato si’ 139 ; Laudate Deum 26) car « Dieu nous a unis à toutes ses créatures » (Laudate Deum 66).
Guide essentiel sur les voies de la résilience sociétale, l’écologie en tant que science communique les données objectives sur l’état de santé des écosystèmes terrestres. En cela, elle nous initie à l’intelligence du vivant, aujourd’hui gravement mis à mal. Experte en sciences de la nature, l’écologie est enseignante de vie. Non une mère fouettarde. Moins encore une instance répressive. Que veulent dire alors les réfractaires aux communications du Giec, de l’IPBES et autres instances scientifiques, qui dénigrent leurs recommandations en termes d’adaptation et plus encore d’atténuation ?
Une écologie « punitive » ?
L’écologie serait-elle « punitive » parce qu’elle nous convierait à quitter un mode de vie insoutenable pour la planète ? Serait-elle « liberticide » parce qu’elle nous ouvre les yeux sur une « dépollution intérieure » à réaliser dans l’espace de nos schémas mentaux conditionnés à consommer toujours plus ? Serait-elle « moralisatrice » parce que révélatrice – c’est un fait – des dérives écocides d’une culture dans laquelle nous sommes tous plus ou moins compromis ? Le drame écologique est le miroir de ce que nous infligeons à la Terre et à nous-mêmes par la chosification mercantile d’une nature externalisée. « En traitant la nature comme hors de nous-mêmes, on se nie nous-mêmes » (Catherine Larrère). Se couper d’elle, c’est se mutiler.
C’est l’immobilisme et plus encore le rejet de l’écologie qui est « punitif » en nous exposant à subir toujours davantage des lendemains qui déchantent. Nullement punitive ni liberticide, l’écologie délivre le sens de notre liberté parce qu’elle nous responsabilise dans l’indissociable lien nature-humanité. Notre humanisation est un chemin personnel, soucieux de la révérence due à tout ce qui vit et respire, à commencer par notre proche entourage. Sans oublier nos proches en humanité les plus éloignés géographiquement. En particulier, celles et ceux qui subissent de plein fouet les chocs socio-environnementaux avec les prémices d’un tragique exode climatique.
Celles et ceux qui endurent l’extraction effrénée des richesses de leur sol dans les conditions de travail les plus sordides. Richesses minières destinées pour la plupart à inonder nos grandes surfaces commerciales de smartphones et autres articles high-tech. Leurs terres étant aussi la poubelle de nos déchets plastiques et autres produits dégradés. Voudra-t-on taire ou relativiser cette réalité scandaleuse parce qu’elle remet en question nos modes de vie ? Les oreilles de notre cœur peuvent-elles rester sourdes à de telles détresses ?
Elle éduque notre liberté
L’écologie est aux antipodes de toute considération « punitive ». C’est un oxymore que de l’affirmer. Quant aux décisions dites de « transition écologique », celles-ci sont effectivement des contraintes injustes voire irrecevables lorsqu’elles sont socialement et politiquement déconnectées des réalités locales, sans concertation véritable en amont auprès des populations ni mesures d’accompagnement auprès des plus modestes.
Dans un contexte d’inquiétant détricotage de nombreux textes ayant une portée environnementale, les prochaines élections européennes seront-elles l’occasion d’assumer un engagement politique résolu vers l’incontournable changement civilisationnel à opérer avant qu’il ne nous soit brutalement contraint, avec son lot de violences et de dystopie collective ? La mutation sociétale pour le meilleur suppose « un nouveau processus radical, intense et qui compte sur l’engagement de tous » (Laudate Deum 59). Celui d’une conversion spirituelle animée d’une conscience universelle concrétisée tant dans le champ ecclésial que socio-politique. L’écologie, la transformation éthique qu’elle induit, ne délaisse personne. Elle intègre l’ensemble du vivant, dont nous faisons partie.
Loin d’être répressive, l’écologie éduque et oriente notre liberté au « respect de la vie » (Dr Albert Schweitzer). Par sa fonction informative et régulative, elle éveille notre esprit à une heureuse démarche régénératrice au bénéfice de la totalité de notre habitat commun. Par suite, elle inspire une action résolument solidaire de tout humain et de tout être vivant. Comment douter encore qu’il y ait urgence en la matière et que chacun doive y contribuer selon son domaine de compétence et son périmètre d’influence ?
(1) Voir les derniers rapports de l’Agence européenne de l’environnement et de la Cour des comptes.
(2) Selon l’enquête de L’Obs’Cop de juin 2023, 37 % de la population ne croit pas à l’origine humaine du réchauffement climatique. Un pourcentage en hausse de 8 points en un an.
Le don de la diversité - janv 24 - Yannick Lapierre
le_don_de_la_diversité_-_méditation_ephata_janv._2024.pdf | |
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Qu’il est beau de contempler la diversité !
Une invitation à l’éclosion d’une nouvelle humanité
Alors qu’en ce mois de janvier 2024, le Pape appelle à prier pour le « don de la diversité dans l’Eglise» (cf en bas de page l’extrait de La Croix du 4 janvier 24), qu’il est beau de contempler et soutenir la diversité au sens le plus large qu’il soit ! N’est-ce pas le lieu de transformation majeur à laquelle notre humanité et nous tous sommes invités aujourd’hui ?
Biodiversité et diversité
Nous avons coutume maintenant d’évoquer la biodiversité. Elle est d’actualité alors que de plus en plus d’espèces disparaissent ou sont menacées.
La suractivité de l’espèce humaine nous parle de la « place » que prend l’homme dans la nature. Une place qui prend de “plus en plus de place“ sur le vivant au détriment des autres espèces. Cette biodiversité est essentielle et vitale. Sans elle l’humain ne sera plus. Il y est intimement lié. Nous sommes donc dans une crise de notre relation avec le vivant.
Mais ce respect de la diversité, ne serait-il pas, plus largement que la seule biodiversité, si importante au demeurant, l’endroit, le lieu de transformation auquel nous sommes invités aujourd’hui à plusieurs niveaux ? Qu’en est-il de nous avec l’autre et avec tous les autres ? Et de nous-mêmes vis-à-vis de notre être profond, de notre être spirituel relié à Dieu, à plus grand que soi (si ce terme vous dérangeait) ?
Entrons-nous dans une crise de la diversité, de l’altérité, alors que des tensions naissent partout sur la planète ?
Quelques exemples, parmi tant d’autres :
Crise de la relation à tout le vivant, crise de la relation aux autres… à cela vient s’ajouter une troisième crise, celle d’une désunion, d’une séparation de beaucoup avec leur être profond, leur part d’humanité, leur dimension spirituelle. Notre société promet au citoyen l’autonomie mais elle en fait de plus en plus un citoyen consommateur dépendant et souvent isolé parmi d’autres consommateurs, au lieu de l’être de reliance et de communion qu’il est ou pourrait être. De plus en plus de jeunes, par exemple, vivent dans l’anxiété et l’isolement. La technologie par ses réseaux dits “sociaux“, assistés maintenant de l’Intelligence Artificielle, vient tenter de leur fournir des réponses de surface. Réponses illusoires qui n’aident en rien à résoudre les causes profondes de leurs souffrances, qui viennent d’une perte de reliance à leur être profond et de la perte du sens de leur existence.
Ce qui se passe dans le monde n’est-il pas un miroir de nous-mêmes ? Puisque nous sommes nés en cette période et faisons partie de ce système, que faire alors à notre niveau ?
Si nous avons conscience de ces 3 crises (avec le vivant, avec les autres et avec notre être profond), à quoi sommes-nous appelés pour participer à l’éclosion d’une nouvelle humanité ?
Nous sommes appelés à créer ou co-créer des « îlots de cohérence »
« “Lorsqu'un système est loin de l'équilibre“, explique le chimiste Ilya Prigogine, lauréat du prix Nobel, “de petits îlots de cohérence dans une mer de chaos ont la capacité d'élever l'ensemble du système à un niveau supérieur“. En 2023, il est apparu clairement que notre système est loin d'être équilibré. La plupart des gens partagent ce sentiment. Nous savons également que la "mer du chaos" n'est pas une denrée rare.
Mais qu'en est-il de ces "petits îlots de cohérence" qui ont la capacité de faire basculer notre trajectoire évolutive dans une direction ou une autre ? C'est là que notre rôle prend tout son sens - et par "notre", j'entends chacun d'entre nous, quiconque contemple le moment présent avec un esprit et un cœur un tant soit peu ouverts.
Lorsque les systèmes s'effondrent, que nous reste-t-il ? L'un pour l'autre. Il nous reste nos relations avec la terre, avec nous-mêmes, avec les autres. Les petits îlots de cohérence, tels que je les conçois, sont des microcosmes de l'avenir qui tente d'émerger. »
Otto Sharmer (Presencing Institute, USA)
Qu’est-ce que sont ces îlots de cohérence ? Ils commencent dès que l’on est pris avec quelqu’un dans un système, là où l’on vit, là où l’on œuvre, dans un moment de fermeture de notre pensée, de notre esprit, de notre cœur à l’autre. Là nous avons un pas à faire !
Une prise de conscience dans quoi nous sommes pris et, nous ouvrant à l’Esprit, à plus grand que nous, plutôt que réagir, respirer, et répondre si besoin en nous laissant être inspiré. C’est un pas d’ouverture que je ne peux pas faire par moi-même (au sens de mon petit moi), surtout dans les situations les plus tendues. Je ne peux faire ce pas, qu’en en appelant à plus grand que moi, à cette source qui inspire tout mon agir et tout mon être tel que l’évoque si bien maître Eckart : « Dans mon cœur pur, mon fond est le fond de Dieu, d’où ma vie et mon agir jaillissent [1]».
Pour résumer, nous avons à veiller à ne pas nous laisser enfermer, gouverner, par les 3 tendances suivantes d’où pourraient naître tous les conflits :
Et c’est peut-être là que des microcosmes de l’humanité de demain peuvent naître : des espaces d’échanges, de création, de soutien. Des « îlots de cohérence » qui ne soient pas des lieux de repli sur soi qui ne rassembleraient que ceux qui se ressemblent. Et ce sont ces petits microcosmes, ces îlots de cohérence qui peuvent faire advenir une humanité différente, plus ouverte, plus aimante.
Je trouve très beau cet appel du Pape à accueillir et cultiver cette diversité comme un don. Au sein de l’Eglise, mais également plus largement au sein de notre humanité et de tout le vivant, dans tous les endroits du monde : « Si nous sommes guidés par le Saint-Esprit, la richesse, la variété, la diversité ne provoquent jamais de conflits»
Yannick Lapierre
Janvier 2024
La Croix, 4 janvier 2024
Vatican. Le pape appelle à prier pour le «don» de la diversité dans l’Église
Pour le mois de janvier, le pape a invité à prier pour «nous aider à reconnaître le don des différents charismes au sein de la communauté chrétienne et à découvrir la richesse des différentes traditions rituelles au sein de l’Église catholique». Prenant l’exemple des premières communautés chrétiennes, François a exhorté le peuple de Dieu à se «réjouir de vivre cette diversité». « Si nous sommes guidés par le Saint-Esprit, la richesse, la variété, la diversité ne provoquent jamais de conflits», a insisté le pape François, appelant également à «un dialogue oecuménique» avec les chrétiens d’autres confessions.
[1] Sermon 5b, d’après la traduction magnifique de Laurent Jouvet. Ed° Almora.
Une invitation à l’éclosion d’une nouvelle humanité
Alors qu’en ce mois de janvier 2024, le Pape appelle à prier pour le « don de la diversité dans l’Eglise» (cf en bas de page l’extrait de La Croix du 4 janvier 24), qu’il est beau de contempler et soutenir la diversité au sens le plus large qu’il soit ! N’est-ce pas le lieu de transformation majeur à laquelle notre humanité et nous tous sommes invités aujourd’hui ?
Biodiversité et diversité
Nous avons coutume maintenant d’évoquer la biodiversité. Elle est d’actualité alors que de plus en plus d’espèces disparaissent ou sont menacées.
La suractivité de l’espèce humaine nous parle de la « place » que prend l’homme dans la nature. Une place qui prend de “plus en plus de place“ sur le vivant au détriment des autres espèces. Cette biodiversité est essentielle et vitale. Sans elle l’humain ne sera plus. Il y est intimement lié. Nous sommes donc dans une crise de notre relation avec le vivant.
Mais ce respect de la diversité, ne serait-il pas, plus largement que la seule biodiversité, si importante au demeurant, l’endroit, le lieu de transformation auquel nous sommes invités aujourd’hui à plusieurs niveaux ? Qu’en est-il de nous avec l’autre et avec tous les autres ? Et de nous-mêmes vis-à-vis de notre être profond, de notre être spirituel relié à Dieu, à plus grand que soi (si ce terme vous dérangeait) ?
Entrons-nous dans une crise de la diversité, de l’altérité, alors que des tensions naissent partout sur la planète ?
Quelques exemples, parmi tant d’autres :
- Regardons ce qu’il y a de plus visible en ce moment : les conflits notamment, et malheureusement, armés. Qu’ils soient au Proche Orient, en Ukraine ou en d’autres régions du monde. La place sur un territoire est revendiquée. Lorsque ce n’est pas une « place » physique, c’est une vision du monde, de la politique, des intérêts des parties prenantes qui s’affrontent sans ouverture à l’autre.
- Regardons également du côté des religions où le spectre des conflits est parfois impressionnant : alors que les grandes traditions religieuses et les maîtres spirituels prônent généralement l’Amour, la bonté et l’ouverture du cœur à l’autre, certains détournent leurs enseignements sous couvert de rigueur ou de fidélité générant tensions, clivages et violences. Que ce soit au sein d’une même religion ou entre les courants religieux et spirituels, quelles difficultés avons-nous à vivre la diversité des points de vue, des pratiques et des rituels !
- Regardons au sein de nos familles ou dans nos relations avec nos proches : même avec les personnes qui nous sont chères, les crispations, les tensions et les conflits ne sont pas rares et rendent parfois toute relation impossible…
Crise de la relation à tout le vivant, crise de la relation aux autres… à cela vient s’ajouter une troisième crise, celle d’une désunion, d’une séparation de beaucoup avec leur être profond, leur part d’humanité, leur dimension spirituelle. Notre société promet au citoyen l’autonomie mais elle en fait de plus en plus un citoyen consommateur dépendant et souvent isolé parmi d’autres consommateurs, au lieu de l’être de reliance et de communion qu’il est ou pourrait être. De plus en plus de jeunes, par exemple, vivent dans l’anxiété et l’isolement. La technologie par ses réseaux dits “sociaux“, assistés maintenant de l’Intelligence Artificielle, vient tenter de leur fournir des réponses de surface. Réponses illusoires qui n’aident en rien à résoudre les causes profondes de leurs souffrances, qui viennent d’une perte de reliance à leur être profond et de la perte du sens de leur existence.
Ce qui se passe dans le monde n’est-il pas un miroir de nous-mêmes ? Puisque nous sommes nés en cette période et faisons partie de ce système, que faire alors à notre niveau ?
Si nous avons conscience de ces 3 crises (avec le vivant, avec les autres et avec notre être profond), à quoi sommes-nous appelés pour participer à l’éclosion d’une nouvelle humanité ?
Nous sommes appelés à créer ou co-créer des « îlots de cohérence »
« “Lorsqu'un système est loin de l'équilibre“, explique le chimiste Ilya Prigogine, lauréat du prix Nobel, “de petits îlots de cohérence dans une mer de chaos ont la capacité d'élever l'ensemble du système à un niveau supérieur“. En 2023, il est apparu clairement que notre système est loin d'être équilibré. La plupart des gens partagent ce sentiment. Nous savons également que la "mer du chaos" n'est pas une denrée rare.
Mais qu'en est-il de ces "petits îlots de cohérence" qui ont la capacité de faire basculer notre trajectoire évolutive dans une direction ou une autre ? C'est là que notre rôle prend tout son sens - et par "notre", j'entends chacun d'entre nous, quiconque contemple le moment présent avec un esprit et un cœur un tant soit peu ouverts.
Lorsque les systèmes s'effondrent, que nous reste-t-il ? L'un pour l'autre. Il nous reste nos relations avec la terre, avec nous-mêmes, avec les autres. Les petits îlots de cohérence, tels que je les conçois, sont des microcosmes de l'avenir qui tente d'émerger. »
Otto Sharmer (Presencing Institute, USA)
Qu’est-ce que sont ces îlots de cohérence ? Ils commencent dès que l’on est pris avec quelqu’un dans un système, là où l’on vit, là où l’on œuvre, dans un moment de fermeture de notre pensée, de notre esprit, de notre cœur à l’autre. Là nous avons un pas à faire !
Une prise de conscience dans quoi nous sommes pris et, nous ouvrant à l’Esprit, à plus grand que nous, plutôt que réagir, respirer, et répondre si besoin en nous laissant être inspiré. C’est un pas d’ouverture que je ne peux pas faire par moi-même (au sens de mon petit moi), surtout dans les situations les plus tendues. Je ne peux faire ce pas, qu’en en appelant à plus grand que moi, à cette source qui inspire tout mon agir et tout mon être tel que l’évoque si bien maître Eckart : « Dans mon cœur pur, mon fond est le fond de Dieu, d’où ma vie et mon agir jaillissent [1]».
- Le 1er endroit pour créer cet îlot de cohérence est d’essayer de comprendre pourquoi l’autre parle ainsi. Et de dire que l’on n’est peut-être pas d’accord mais qu’on peut s’écouter et essayer de se comprendre profondément. De s’intéresser vraiment à ce que dit l’autre, en profondeur, sans chercher ni à le changer, ni à le manipuler. Accueillir cette diversité de point de vue de manière peut-être différente : qui a raison au fond ? Peut-être que c’est lui en face de moi, peut-être que c’est moi. Rester ainsi mentalement ancré dans un « j’ai et il a partiellement raison ». Peut-être que chacun de nous a à apprendre de l’autre. Peut-être que l’autre va nous permettre d’approfondir notre propre chemin, notre propre vision des choses. Cela s’appelle l’ouverture d’esprit. Elle se cultive tous les jours. Une aide que nous propose la pleine conscience serait de nous sortir de notre “petit moi“ et de nous voir, ainsi que l’autre, pleinement présent dans la scène (élargissement de conscience ou “dé-zoomage“) et reliés. Chez les chrétiens cela pourrait être, à l’exemple de Jésus, de “voir l’autre en vérité“ : je t’écoute et te comprends en profondeur toi qui me parle, fils ou fille de Dieu. Tu as quelque chose à m’enseigner, nous sommes reliés dans l’Esprit.
- Un 2ème endroit où l’on peut créer un îlot de cohérence, c’est en gardant l’ouverture du coeur à l’autre. Lorsque l’autre me dérange, c’est le moment de pratiquer ! Lorsque quelqu’un m’agace, me gêne, fait monter en moi par exemple un sentiment de rejet, c’est le moment, en en prenant conscience, d’ouvrir mon cœur à cet être différent. Une sorte d’étonnement intérieur du cœur : un « qui es tu autre être humain, autre être vivant ? ». Dans un registre chrétien, ce pourrait-être : « toi, unique et tout comme moi, fils ou fille de Dieu, je te vois tel que tu es. J’apprends à te reconnaître et à t’aimer pour qui tu es ».
- Cette attitude va finalement nous conduire à un 3ème endroit, à une volonté ouverte au cœur de nos actes. Dans ce qu’on va créer ensemble (un couple, une famille, une société, une église, une association, une entreprise…), est-ce qu’on veut imposer ? Ou est-ce qu’on apprend à lâcher notre volonté propre pour œuvrer ensemble à quelque chose que l’on n’avait pas imaginé avant ? Est-il possible de co-créer avec ceux qui ne nous ressemblent pas forcément ?
Pour résumer, nous avons à veiller à ne pas nous laisser enfermer, gouverner, par les 3 tendances suivantes d’où pourraient naître tous les conflits :
- La fermeture de notre esprit (esprit fermé ou étroit)
- La fermeture de notre cœur (coupure de nos ressentis, de nos émotions, de nos affects – voire même cynisme)
- La fermeture de notre volonté (une volonté gouverné par notre ego, notre petit moi plutôt qu’une volonté ouverte guidée par le Tout Autre, par plus grand que moi, par la Vie)
Et c’est peut-être là que des microcosmes de l’humanité de demain peuvent naître : des espaces d’échanges, de création, de soutien. Des « îlots de cohérence » qui ne soient pas des lieux de repli sur soi qui ne rassembleraient que ceux qui se ressemblent. Et ce sont ces petits microcosmes, ces îlots de cohérence qui peuvent faire advenir une humanité différente, plus ouverte, plus aimante.
Je trouve très beau cet appel du Pape à accueillir et cultiver cette diversité comme un don. Au sein de l’Eglise, mais également plus largement au sein de notre humanité et de tout le vivant, dans tous les endroits du monde : « Si nous sommes guidés par le Saint-Esprit, la richesse, la variété, la diversité ne provoquent jamais de conflits»
Yannick Lapierre
Janvier 2024
La Croix, 4 janvier 2024
Vatican. Le pape appelle à prier pour le «don» de la diversité dans l’Église
Pour le mois de janvier, le pape a invité à prier pour «nous aider à reconnaître le don des différents charismes au sein de la communauté chrétienne et à découvrir la richesse des différentes traditions rituelles au sein de l’Église catholique». Prenant l’exemple des premières communautés chrétiennes, François a exhorté le peuple de Dieu à se «réjouir de vivre cette diversité». « Si nous sommes guidés par le Saint-Esprit, la richesse, la variété, la diversité ne provoquent jamais de conflits», a insisté le pape François, appelant également à «un dialogue oecuménique» avec les chrétiens d’autres confessions.
[1] Sermon 5b, d’après la traduction magnifique de Laurent Jouvet. Ed° Almora.
Protéger la lumière naissante - déc 23 - Yannick Lapierre
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Protéger la lumière naissante
Dans nos obscurités, une lumière qui donne une espérance, un élan et un enthousiasme
Une espérance : Petite crèche de Noël dans l’obscurité, signe d’une étoile au creux des noirceurs du monde.
Qu’il est doux, qu’il est rayonnant l’enfant démuni et confiant. Confiant dans son rayonnement, rayonnant dans sa confiance. Juste là, sans chercher à la créer, cette confiance est. Et elle est source de Paix et de Joie.
Serons-nous en elle à nos derniers gémissements ? Le sommes-nous en ce moment où l’on prend peur en écoutant ces nouvelles d’une humanité qui se déchire en beaucoup d’endroits : en terre d’Israël et de Palestine, en Europe orientale, dans certains pays d’Afrique et ailleurs… Qui peine encore à s’accorder de manière plus ambitieuse pour la transition écologique. Et que dire de ceux qui souffrent d’une économie violente qui offre des écarts de plus en plus importants entre ceux qui gagnent de plus en plus et ceux pour qui la vie du quotidien et ses besoins premiers (logement, nourriture, énergie) sont de plus en plus difficiles voire impossibles. Et que dire encore des options politiques peu réjouissantes qui, prenant appui sur ces détresses, émergent dans certains pays : populisme, “simplisme“ violent, oligarchie ou ultranationalisme qui semblent pointer l’échec de nos démocraties à réguler un capitalisme débridé accroissant les inégalités, l’individualisme et les maux causés à notre planète. Et que dire des tensions parfois toutes proches de chez nous, au cœur de nos familles, dans notre travail ou dans nos voisinages, en nous-mêmes ?...
Jésus est né dans une période tout aussi trouble, voir plus. L’enfant de lumière est né dans ces obscurités. A une époque où vous vous retrouviez vite un glaive dans le poitrail ou sur une croix ! Où le messie était attendu comme le sauveur d’une invasion étrangère, d’un colonisateur. Où pauvreté, infirmité et désespoir étaient omniprésents.
Nous aimerions tant, ainsi qu’il y a 2000 ans, que la souffrance se dissipe. Alors, ainsi que nous y invite Paule Amblard* en réponse à « que faire dans ce moment où l’ombre s’est épaissie ? »…, « nous sommes invités à revenir au noyau de l’histoire, le don de la naissance du Christ. Le don de Marie qui s’offre avec le Fils. Le don de Joseph qui vient protéger la lumière naissante. Le don des bergers qui quittent leurs troupeaux pour aller rendre hommage à l’Enfant… Le don des Mages qui, attendant le signe de l’étoile, s’en vont loin de leur pays pour aller trouver le Roi de paix… A notre tour de faire ce chemin jusqu’à sa naissance. Il demande de ne pas être trop chargé et de désencombrer son âme des soucis du monde. Un instant, une seconde, aller à la recherche de la crèche intérieure… ».
Lucides sur toute l’obscurité de notre temps, protégeons cette douce lumière en nous. Ne nous laissons pas trop envahir par certains médias qui ne cessent de réveiller peurs et angoisses, ne laissant qu’une faible place aux heureuses, discrètes et pourtant si précieuses initiatives humaines dans l’entraide, l’écologie ou le soutien à une économie plus équitable.
Restons à l’écoute de l’élan de cette lumière en nous, de son rayonnement en devenir, de l’enthousiasme qu’elle suscite : où est-ce que cette lumière, cet élan me portent ? Où est-ce que ça m’appelle à fleurir et à porter du fruit ? Dans le champ de bataille, quelle est la fleur unique qui cherche à se manifester en moi et à travers moi ?
Il est peut-être vain de fleurir dans un champ de bataille, mais peut-être, aussi, est-ce la seule chose que je peux faire. Envers et contre tout, maintenir la flamme de mon humanité allumée. Par une humble écoute auprès d’un proche, la simple contemplation d’une feuille d’automne, d’un vol d’oiseau … par un sourire, un geste, ou par des engagements plus forts si je le peux encore…
Restons ainsi vivants, vivantes dans la lumière et protégeons cette lumière naissante et éternelle.
Un élan et un enthousiasme
D’où vient l’élan qui me meut ? L’élan de vivre, l’élan d’écrire, l’élan de respirer, de sourire et d’aimer ?
Je ne sais pas et c’est tant mieux. Et vous, le savez-vous ? Je parle ici de l’élan inspiré et non pensé.
Répondre à cette question, ce serait tenter de dévoiler un mystère… Peut-on le savoir vraiment, d’où vient cet élan ?
Ce qu’il me semble du bout des lèvres approcher, plutôt du bout de mon être, c’est un vide, un lâcher qui appelle un jaillissement. Le signe qu’il est inspiré ? La joie au bout de mes lèvres. Un ravissement d’être là où je dois être, d’être à ce que je fais, d’être à cet élan au fond de moi. Ce fond évoqué par Maitre Eckart et qu’à la suite de Marie nous pouvons rendre fécond : « Dans le temple vide de mon âme, mon fond est le fond de Dieu et le fond de Dieu est mon fond. De là jaillit tout mon être et tout mon agir**. »
De là jaillit tout l’amour, pourrait-on dire. Accueillir cet amour, le laisser grandir en moi. Et le laisser jaillir de moi. Oui, s’ouvrir au jaillissement de Dieu en moi, dans ma vie. Laisser ce jaillissement m’ouvrir… N’est-ce pas être enceinte ou enceint de Dieu ?
Pour cela, il est urgent dans nos vies de laisser des temps “ouverts“ justement. Des temps où il n’y a rien à remplir, rien à faire, rien à chercher. Simplement accepter d’être là, enfin. Revenir de tous nos ailleurs, de tous nos refuges. Se laisser dépouiller au creux de l’hiver de tout ce qui nous encombre et entrer dans le silence. N’ayons crainte, ce n’est pas vide ! L’angoisse, le sentiment de solitude ou d’absurde ne sont que la couche de glace que notre égo, notre petit moi, met pour résister. Plus profondément, « laissons-nous déposer au sol de la vie telle qu’elle est. Ce n’est pas dans le vide que nous allons tomber. Ce n’est pas dans la boue amère de la résignation. C’est dans l’infinie terre aimante de Dieu*** ». Oui, se laisser tomber dans l’Amour, dans cet espace vaste où nous sommes comblés de grâce. Oh, oui ! Là, tout de suite… et toujours.
Alors comme Marie qui accueille et protège en elle le germe divin, laissons la lumière naître en nous. Dans notre fond le plus intime, dans nos entrailles. De là pourra jaillir l’élan, l’enthousiasme, la Vie.
Enceintes et enceints d’un amour infini qui se donne, ici, maintenant, pour tous. A la suite de Marie, en communion avec elle, dans la virginité de l’Instant, laissons l’Amour, l’Enfant-Dieu naître en nous… et nous faire naître à nous-mêmes, fils et filles de Dieu. Oui, laissons l’Enfant de lumière, si fragile et vulnérable, nous guider dans l’obscurité…
Et protégeons là, cette lumière naissante qui est Vie éternelle. Qui est désir infini. Qui est élan de vie. Qui est Chemin. Qui est Vérité. Qui est Amour Agapé.
Rejoignons-le, dès maintenant, ce petit enfant à naître, au cœur de nos entrailles, au cœur de chacune et chacun de nous. Cet enfant nous ouvre le chemin vers l’Unité. Oui, en Lui, que tous, nous soyons un.
Yannick Lapierre
Décembre 2023
* Extrait de La Vie du 30/11/2023, chronique de Paule Amblard, historienne de l’art et autrice : La crèche intérieure.
** Maître Eckhart, sermon 5b, extrait de la nouvelle et si vivante traduction de Laurent Jouvet, éditions Almora.
*** Marie-Laure Choplin, Un cœur sans rempart, éd. Labor et Fides
Dans nos obscurités, une lumière qui donne une espérance, un élan et un enthousiasme
Une espérance : Petite crèche de Noël dans l’obscurité, signe d’une étoile au creux des noirceurs du monde.
Qu’il est doux, qu’il est rayonnant l’enfant démuni et confiant. Confiant dans son rayonnement, rayonnant dans sa confiance. Juste là, sans chercher à la créer, cette confiance est. Et elle est source de Paix et de Joie.
Serons-nous en elle à nos derniers gémissements ? Le sommes-nous en ce moment où l’on prend peur en écoutant ces nouvelles d’une humanité qui se déchire en beaucoup d’endroits : en terre d’Israël et de Palestine, en Europe orientale, dans certains pays d’Afrique et ailleurs… Qui peine encore à s’accorder de manière plus ambitieuse pour la transition écologique. Et que dire de ceux qui souffrent d’une économie violente qui offre des écarts de plus en plus importants entre ceux qui gagnent de plus en plus et ceux pour qui la vie du quotidien et ses besoins premiers (logement, nourriture, énergie) sont de plus en plus difficiles voire impossibles. Et que dire encore des options politiques peu réjouissantes qui, prenant appui sur ces détresses, émergent dans certains pays : populisme, “simplisme“ violent, oligarchie ou ultranationalisme qui semblent pointer l’échec de nos démocraties à réguler un capitalisme débridé accroissant les inégalités, l’individualisme et les maux causés à notre planète. Et que dire des tensions parfois toutes proches de chez nous, au cœur de nos familles, dans notre travail ou dans nos voisinages, en nous-mêmes ?...
Jésus est né dans une période tout aussi trouble, voir plus. L’enfant de lumière est né dans ces obscurités. A une époque où vous vous retrouviez vite un glaive dans le poitrail ou sur une croix ! Où le messie était attendu comme le sauveur d’une invasion étrangère, d’un colonisateur. Où pauvreté, infirmité et désespoir étaient omniprésents.
Nous aimerions tant, ainsi qu’il y a 2000 ans, que la souffrance se dissipe. Alors, ainsi que nous y invite Paule Amblard* en réponse à « que faire dans ce moment où l’ombre s’est épaissie ? »…, « nous sommes invités à revenir au noyau de l’histoire, le don de la naissance du Christ. Le don de Marie qui s’offre avec le Fils. Le don de Joseph qui vient protéger la lumière naissante. Le don des bergers qui quittent leurs troupeaux pour aller rendre hommage à l’Enfant… Le don des Mages qui, attendant le signe de l’étoile, s’en vont loin de leur pays pour aller trouver le Roi de paix… A notre tour de faire ce chemin jusqu’à sa naissance. Il demande de ne pas être trop chargé et de désencombrer son âme des soucis du monde. Un instant, une seconde, aller à la recherche de la crèche intérieure… ».
Lucides sur toute l’obscurité de notre temps, protégeons cette douce lumière en nous. Ne nous laissons pas trop envahir par certains médias qui ne cessent de réveiller peurs et angoisses, ne laissant qu’une faible place aux heureuses, discrètes et pourtant si précieuses initiatives humaines dans l’entraide, l’écologie ou le soutien à une économie plus équitable.
Restons à l’écoute de l’élan de cette lumière en nous, de son rayonnement en devenir, de l’enthousiasme qu’elle suscite : où est-ce que cette lumière, cet élan me portent ? Où est-ce que ça m’appelle à fleurir et à porter du fruit ? Dans le champ de bataille, quelle est la fleur unique qui cherche à se manifester en moi et à travers moi ?
Il est peut-être vain de fleurir dans un champ de bataille, mais peut-être, aussi, est-ce la seule chose que je peux faire. Envers et contre tout, maintenir la flamme de mon humanité allumée. Par une humble écoute auprès d’un proche, la simple contemplation d’une feuille d’automne, d’un vol d’oiseau … par un sourire, un geste, ou par des engagements plus forts si je le peux encore…
Restons ainsi vivants, vivantes dans la lumière et protégeons cette lumière naissante et éternelle.
Un élan et un enthousiasme
D’où vient l’élan qui me meut ? L’élan de vivre, l’élan d’écrire, l’élan de respirer, de sourire et d’aimer ?
Je ne sais pas et c’est tant mieux. Et vous, le savez-vous ? Je parle ici de l’élan inspiré et non pensé.
Répondre à cette question, ce serait tenter de dévoiler un mystère… Peut-on le savoir vraiment, d’où vient cet élan ?
Ce qu’il me semble du bout des lèvres approcher, plutôt du bout de mon être, c’est un vide, un lâcher qui appelle un jaillissement. Le signe qu’il est inspiré ? La joie au bout de mes lèvres. Un ravissement d’être là où je dois être, d’être à ce que je fais, d’être à cet élan au fond de moi. Ce fond évoqué par Maitre Eckart et qu’à la suite de Marie nous pouvons rendre fécond : « Dans le temple vide de mon âme, mon fond est le fond de Dieu et le fond de Dieu est mon fond. De là jaillit tout mon être et tout mon agir**. »
De là jaillit tout l’amour, pourrait-on dire. Accueillir cet amour, le laisser grandir en moi. Et le laisser jaillir de moi. Oui, s’ouvrir au jaillissement de Dieu en moi, dans ma vie. Laisser ce jaillissement m’ouvrir… N’est-ce pas être enceinte ou enceint de Dieu ?
Pour cela, il est urgent dans nos vies de laisser des temps “ouverts“ justement. Des temps où il n’y a rien à remplir, rien à faire, rien à chercher. Simplement accepter d’être là, enfin. Revenir de tous nos ailleurs, de tous nos refuges. Se laisser dépouiller au creux de l’hiver de tout ce qui nous encombre et entrer dans le silence. N’ayons crainte, ce n’est pas vide ! L’angoisse, le sentiment de solitude ou d’absurde ne sont que la couche de glace que notre égo, notre petit moi, met pour résister. Plus profondément, « laissons-nous déposer au sol de la vie telle qu’elle est. Ce n’est pas dans le vide que nous allons tomber. Ce n’est pas dans la boue amère de la résignation. C’est dans l’infinie terre aimante de Dieu*** ». Oui, se laisser tomber dans l’Amour, dans cet espace vaste où nous sommes comblés de grâce. Oh, oui ! Là, tout de suite… et toujours.
Alors comme Marie qui accueille et protège en elle le germe divin, laissons la lumière naître en nous. Dans notre fond le plus intime, dans nos entrailles. De là pourra jaillir l’élan, l’enthousiasme, la Vie.
Enceintes et enceints d’un amour infini qui se donne, ici, maintenant, pour tous. A la suite de Marie, en communion avec elle, dans la virginité de l’Instant, laissons l’Amour, l’Enfant-Dieu naître en nous… et nous faire naître à nous-mêmes, fils et filles de Dieu. Oui, laissons l’Enfant de lumière, si fragile et vulnérable, nous guider dans l’obscurité…
Et protégeons là, cette lumière naissante qui est Vie éternelle. Qui est désir infini. Qui est élan de vie. Qui est Chemin. Qui est Vérité. Qui est Amour Agapé.
Rejoignons-le, dès maintenant, ce petit enfant à naître, au cœur de nos entrailles, au cœur de chacune et chacun de nous. Cet enfant nous ouvre le chemin vers l’Unité. Oui, en Lui, que tous, nous soyons un.
Yannick Lapierre
Décembre 2023
* Extrait de La Vie du 30/11/2023, chronique de Paule Amblard, historienne de l’art et autrice : La crèche intérieure.
** Maître Eckhart, sermon 5b, extrait de la nouvelle et si vivante traduction de Laurent Jouvet, éditions Almora.
*** Marie-Laure Choplin, Un cœur sans rempart, éd. Labor et Fides
Lettre ouverte aux humains - nov 23 - Yannick Lapierre
lettre_ouverte_aux_humains_nov_2023.pdf | |
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Et la Paix ?
N’est-ce pas se rencontrer Vraiment que d’être en Paix avec l’autre ?
Juste après les attentats du 11 septembre 2001, mon guide spirituel hindouiste de l’époque a fait un enseignement étonnant qui résonne souvent en moi encore aujourd’hui. Elle nous a dit : « Je ne pensais pas que le monde se rencontrerait comme cela. Attendez-vous à ce que dans les années qui viennent les conflits se rapprochent de vous… ». Elle nous souhaitait de ne pas nous trouver au sein de conflits et si nous nous y retrouvions, de cultiver la Paix en nous et de l’offrir.
L’oppression, l’arrogance d’un capitalisme débridé et égoïste, la non prise en compte de l’existence de l’autre réduit à survivre sur un territoire de plus en plus assiégé ou colonisé, la violence terroriste, la violence économique[1], les violences écologiques, sèment les graines de conflits futurs, quels que soient les protagonistes.
Et à notre échelle ? Et près de nous ?... Zoomons un peu.
Cette semaine, lors de mon temps de bénévolat à la CIMADE[2], j’ai écouté plusieurs histoires de vie difficiles. Plusieurs histoires de survie devrais-je dire.
Bertrand, un maçon camerounais d’une petite cinquantaine d’années est là depuis deux ans bientôt et ère d’accueils d’urgence en nuits sous les étoiles, le froid ou la pluie. Il est dépressif maintenant et va à l’IMP[3] échanger avec un psychiatre qui lui donne quelques cachets. Il reçoit des repas des restos du cœur… Il peut appeler le 115. Il nous dit que lors de la traversée, il a perdu toute sa famille. Qu’il ne veut pas retourner au Cameroun où il risque d’être tué.
Voici un homme qui, voulant offrir à ses proches une nouvelle vie loin des affres de son pays instable, a tout risqué et a tout perdu. Et voici les seules miettes que notre pays occidental riche lui propose. Cet homme ne peut pas pour le moment reprendre espoir. Il a l’obligation de quitter le territoire et il survit ainsi jour après jour passant au travers des mailles et survivant par la générosité de quelques associations et ONG. Est-il rencontré vraiment dans sa fragilité d’être humain ? Dans ce qui est vivant en lui et pourrait renaître ? Il a envie de servir avec ses mains de maçon et de reconstruire sa vie effondrée mais il ne peut pas. Il a l’interdiction de travailler (pourtant dans le Morbihan il manque de main d’œuvre dans le bâtiment) et pour rester il faudrait qu’il justifie d’un emploi. Le préfet[4] a refusé son dossier de demandeur d’asile et son titre de séjour, et l’espoir de ce bon monsieur, tout triste et dépourvu comme un enfant, est d’attendre cinq ans et de produire une promesse d’embauche, alors peut-être aura-t-il une autorisation. Encore trois ans, sans réseau familial avec un seul et unique ami, souvent seul dans son quotidien sans projet, juste quelques repas chaleureusement partagés heureusement avec les restos du Cœur, et la compassion, impuissante dans les actes, des associations et de l’assistante sociale qui le reçoivent. Bon courage monsieur !
Ne semons-nous pas là des graines de rancœur, de colère, de dépression, de violence ?
Et il y en aura d’autres car les dérèglements climatiques et les guerres continueront à nous envoyer ces êtres, qui pourraient être nous, et qui cherchent une main tendue, un sentier même étroit pour marcher de nouveau sur une terre qui appartient à tout le monde. Oui, « il n’y a pas d’étranger sur la terre »[5] et pourtant nous voyons de plus en plus de durcissements nationalistes se développer. Il prend racine dans les peurs de l’autre, du « grand remplacement », des pertes que cela pourrait nous occasionner (emploi, sécurité…) alors que ces personnes “migrantes“ qui viennent en Europe tenter de refaire une vie sont si peu quand on regarde la vérité des chiffres (chaque année moins de 1 personne sur 100 habitants européens reçoit un titre de séjour ; plus exactement 0,6%). Une loi immigration plus dure encore va bientôt être votée, avec le risque d’un amalgame avec le triste événement du meurtre du professeur du lycée d’Arras par un jeune issue d’une famille à l’intégration “loupée“ et influencé par les malheureuses et déviantes dérives salafistes et extrémistes de son père et de son grand frère.
Certes, il faut être vigilants et se prémunir des influences terroristes sur les plus jeunes particulièrement. Mais attention aux amalgames et aux lois proposées comme de soit disant remèdes mais qui vont précariser et fragiliser ceux qui nous tendent la main…
Car cet homme camerounais, qui parle de surcroît parfaitement le français, demande peu. Et ce peu nous ne lui offrons pas.
Que faisons-nous lorsque nous ne tendons pas la main à l’autre, quand nous ne le rencontrons pas Vraiment, dans la vérité de ce qui est vivant en lui. Car voir vraiment, c’est aimer. Cet homme, j’ai essayé de le voir vraiment et je l’ai aimé. Et il parle aujourd’hui à travers moi pour délivrer cette lettre aux humains.
L’esprit colonisateur et sécuritaire de B. Netanyahou a-t-il été mû par une telle rencontre avec les palestiniens des territoires occupés avant cet horrible acte du Hamas ? L’opulence de l’Occident (les Twin Towers de l’époque la symbolisaient) et son capitalisme débridé qui met sur le bord de la route des peuples entiers, qui un jour renient ce modèle de société et deviennent malheureusement violents, offre-t-il de vraies rencontres humaines ou de vides côtoiements d’individu à individu ?
Oui, nous pouvons penser que les conflits se feront de plus en plus proches de nous. Et que se heurter de “système de défense“ à “système de défense“, de peur à peur, est une impasse qui mène à plus de violence. Ouvrir notre cœur à l’autre plutôt que se défendre, c’est Rencontrer l’autre Vraiment. C’est exprimer notre souffrance et rencontrer celle de l’autre. Je l’ai vécu il y a plus de 10 ans lors de rencontres entre juifs israéliens et palestiniens des territoires occupés : entre 40 et 50 humains, pas à pas, ont appris à reconnaître leur souffrance et à la nommer en étant tour à tour écoutés par leurs frères et sœurs issus d’une nationalité différente et qui les avaient agressés. Cela sans violence, sans « attaquer » l’autre ne serait-ce que verbalement (c’était la consigne). Certes il a fallu plus de 10 jours mais à l’issue de la rencontre ils dansaient et chantaient ensemble, frères en humanité[6].
Oui, seule la Vraie Rencontre peut un jour mener à la Paix. Sinon, la violence risque de se transmettre de génération en génération…
Alors, cela nous invite à vivre cette Vraie rencontre dans notre quotidien avec nos proches. A nous entrainer à voir ce vivant en l’autre et en nous-mêmes. Pour se rencontrer, il s’agit de se donner à voir vraiment, et de voir vraiment l’autre. Oui, oser me donner à l’autre, m’offrir à son regard tel que je suis en vérité, avec mes émotions, mes blessures, mes besoins, mes élans et mes forces aussi. Être à l’écoute de ce qui est vivant en moi, être à l’écoute de ce qui est vivant en l’autre aussi, l’écouter vraiment, le voir vraiment tel qu’il est, dans toute son humanité, dans toute sa complexité peut-être, dans toute son altérité en tout cas. Sinon nous marchons déjà sur son territoire, nous passons en force, nous l’envahissons.
Oui, c’est une manière belle, profonde, pleine d’empathie et de compassion, qui prend parfois plus de temps mais qui crée, par cette rencontre de cœur à cœur, une vraie fraternité d’humains qui co-créent ensemble l’avenir, qu’ils soit petit ou grand, au lieu de cette juxtaposition d’individus souvent seuls, perdus, apeurés et divisés. Oui, c’est s’ouvrir à cette « énergie divine d’amour » à laquelle faisait allusion Marshall Rosenberg[7] l’initiateur de la Communication Non Violente qui peut se développer et incarner cette invitation de Jésus à « aimer son prochain comme soi-même[8] »
Alors pour la Paix, que faire ? Peut-être ne plus séparer l’engagement dans le monde et l’intériorité profonde.
Oui, prendre le temps de faire retour dans nos profondeurs, nous ouvrir au Tout-Autre, à cette grâce infinie qui nous aide à accueillir en pleine conscience notre réalité humaine, y compris l’émotion enfouie ou jaillissante, que l’on peut alors embrasser, apaiser, et exprimer en nudité, en authenticité. Se laisser rencontrer par le Tout-Autre, se laisser accueillir, se laisser ouvrir le cœur dans le silence intérieur…
Et de là, de ce cœur ouvert, paisible et plein de compassion, rejoindre l’autre dans sa vérité, dans sa profondeur. Les occasions sont infinies dans notre quotidien pour cultiver ces actes de paix auprès de nos proches, voisins, collègues…
Notre prière d’intercession et notre méditation de la compassion peuvent également embrasser et rejoindre tous les êtres, particulièrement ceux qui vivent l’horreur de la guerre et subissent la violence.
Notre engagement auprès de nos proches peut s’élargir aussi, si nous le pouvons, en œuvrant à notre manière auprès des plus démunis ou en soutenant des associations engagées pour la paix et la solidarité par exemple.
Ces actes de compassion, quels qu’ils soient, nous sortent de notre impuissance (même si parfois nous pouvons la ressentir) ou, pire de notre indifférence, et nous font nous sentir profondément reliés, dans notre commune humanité. La vraie compassion est alors source d’espérance et de joie.
Apprenons donc à nous voir nous-mêmes et à voir l’autre comme un être unique et merveilleux, dans toute sa beauté, sa vulnérabilité, ses joies et ses peines. C’est la véritable rencontre dont témoigne cet Evangile de Jésus et de Zachée, que nous vous proposons de visionner et d’écouter ce mois-ci avec une nouvelle vidéo suivie d’une méditation.
Beau chemin de Paix, pas à pas en chacun de nous et avec tous !…
Yannick.
[1] A propos de la violence économique : des études scientifiques, montrent que les pays qui ont le plus d’inégalités de revenus sont les pays qui enregistrent le plus de problèmes sociaux et de santé. En savoir plus sur : https://equalitytrust.org. Les Etats-Unis, dans cette corrélation, enregistre le plus mauvais score.
[2] La Cimade (à l'origine acronyme de Comité inter-mouvements auprès des évacués) est une de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d'asile et aux étrangers en situation irrégulière
[3] Institut Médico-Psychologique
[4] Ah, mesdames et messieurs les Préfets, si vous les rencontriez Vraiment ces femmes et ces hommes démunis, vous seriez sans doute plus cléments ! Mais vos maints dossiers administratifs vous privent de ces rencontres…et une signature dans un parapheur ne vous conduit-elle pas, pas à pas, à l’indifférence ?
[5] Un des slogans humanitaires de la CIMADE
[6] Rencontres organisées par le centre bouddhiste du Village des Pruniers
[7] Lire ce petit recueil de Marshall B. Rosenberg : « Les bases spirituelles de la Communication Non Violente ». Editions Jouvence.
[8] Evangile de Marc 12,31
N’est-ce pas se rencontrer Vraiment que d’être en Paix avec l’autre ?
Juste après les attentats du 11 septembre 2001, mon guide spirituel hindouiste de l’époque a fait un enseignement étonnant qui résonne souvent en moi encore aujourd’hui. Elle nous a dit : « Je ne pensais pas que le monde se rencontrerait comme cela. Attendez-vous à ce que dans les années qui viennent les conflits se rapprochent de vous… ». Elle nous souhaitait de ne pas nous trouver au sein de conflits et si nous nous y retrouvions, de cultiver la Paix en nous et de l’offrir.
L’oppression, l’arrogance d’un capitalisme débridé et égoïste, la non prise en compte de l’existence de l’autre réduit à survivre sur un territoire de plus en plus assiégé ou colonisé, la violence terroriste, la violence économique[1], les violences écologiques, sèment les graines de conflits futurs, quels que soient les protagonistes.
Et à notre échelle ? Et près de nous ?... Zoomons un peu.
Cette semaine, lors de mon temps de bénévolat à la CIMADE[2], j’ai écouté plusieurs histoires de vie difficiles. Plusieurs histoires de survie devrais-je dire.
Bertrand, un maçon camerounais d’une petite cinquantaine d’années est là depuis deux ans bientôt et ère d’accueils d’urgence en nuits sous les étoiles, le froid ou la pluie. Il est dépressif maintenant et va à l’IMP[3] échanger avec un psychiatre qui lui donne quelques cachets. Il reçoit des repas des restos du cœur… Il peut appeler le 115. Il nous dit que lors de la traversée, il a perdu toute sa famille. Qu’il ne veut pas retourner au Cameroun où il risque d’être tué.
Voici un homme qui, voulant offrir à ses proches une nouvelle vie loin des affres de son pays instable, a tout risqué et a tout perdu. Et voici les seules miettes que notre pays occidental riche lui propose. Cet homme ne peut pas pour le moment reprendre espoir. Il a l’obligation de quitter le territoire et il survit ainsi jour après jour passant au travers des mailles et survivant par la générosité de quelques associations et ONG. Est-il rencontré vraiment dans sa fragilité d’être humain ? Dans ce qui est vivant en lui et pourrait renaître ? Il a envie de servir avec ses mains de maçon et de reconstruire sa vie effondrée mais il ne peut pas. Il a l’interdiction de travailler (pourtant dans le Morbihan il manque de main d’œuvre dans le bâtiment) et pour rester il faudrait qu’il justifie d’un emploi. Le préfet[4] a refusé son dossier de demandeur d’asile et son titre de séjour, et l’espoir de ce bon monsieur, tout triste et dépourvu comme un enfant, est d’attendre cinq ans et de produire une promesse d’embauche, alors peut-être aura-t-il une autorisation. Encore trois ans, sans réseau familial avec un seul et unique ami, souvent seul dans son quotidien sans projet, juste quelques repas chaleureusement partagés heureusement avec les restos du Cœur, et la compassion, impuissante dans les actes, des associations et de l’assistante sociale qui le reçoivent. Bon courage monsieur !
Ne semons-nous pas là des graines de rancœur, de colère, de dépression, de violence ?
Et il y en aura d’autres car les dérèglements climatiques et les guerres continueront à nous envoyer ces êtres, qui pourraient être nous, et qui cherchent une main tendue, un sentier même étroit pour marcher de nouveau sur une terre qui appartient à tout le monde. Oui, « il n’y a pas d’étranger sur la terre »[5] et pourtant nous voyons de plus en plus de durcissements nationalistes se développer. Il prend racine dans les peurs de l’autre, du « grand remplacement », des pertes que cela pourrait nous occasionner (emploi, sécurité…) alors que ces personnes “migrantes“ qui viennent en Europe tenter de refaire une vie sont si peu quand on regarde la vérité des chiffres (chaque année moins de 1 personne sur 100 habitants européens reçoit un titre de séjour ; plus exactement 0,6%). Une loi immigration plus dure encore va bientôt être votée, avec le risque d’un amalgame avec le triste événement du meurtre du professeur du lycée d’Arras par un jeune issue d’une famille à l’intégration “loupée“ et influencé par les malheureuses et déviantes dérives salafistes et extrémistes de son père et de son grand frère.
Certes, il faut être vigilants et se prémunir des influences terroristes sur les plus jeunes particulièrement. Mais attention aux amalgames et aux lois proposées comme de soit disant remèdes mais qui vont précariser et fragiliser ceux qui nous tendent la main…
Car cet homme camerounais, qui parle de surcroît parfaitement le français, demande peu. Et ce peu nous ne lui offrons pas.
Que faisons-nous lorsque nous ne tendons pas la main à l’autre, quand nous ne le rencontrons pas Vraiment, dans la vérité de ce qui est vivant en lui. Car voir vraiment, c’est aimer. Cet homme, j’ai essayé de le voir vraiment et je l’ai aimé. Et il parle aujourd’hui à travers moi pour délivrer cette lettre aux humains.
L’esprit colonisateur et sécuritaire de B. Netanyahou a-t-il été mû par une telle rencontre avec les palestiniens des territoires occupés avant cet horrible acte du Hamas ? L’opulence de l’Occident (les Twin Towers de l’époque la symbolisaient) et son capitalisme débridé qui met sur le bord de la route des peuples entiers, qui un jour renient ce modèle de société et deviennent malheureusement violents, offre-t-il de vraies rencontres humaines ou de vides côtoiements d’individu à individu ?
Oui, nous pouvons penser que les conflits se feront de plus en plus proches de nous. Et que se heurter de “système de défense“ à “système de défense“, de peur à peur, est une impasse qui mène à plus de violence. Ouvrir notre cœur à l’autre plutôt que se défendre, c’est Rencontrer l’autre Vraiment. C’est exprimer notre souffrance et rencontrer celle de l’autre. Je l’ai vécu il y a plus de 10 ans lors de rencontres entre juifs israéliens et palestiniens des territoires occupés : entre 40 et 50 humains, pas à pas, ont appris à reconnaître leur souffrance et à la nommer en étant tour à tour écoutés par leurs frères et sœurs issus d’une nationalité différente et qui les avaient agressés. Cela sans violence, sans « attaquer » l’autre ne serait-ce que verbalement (c’était la consigne). Certes il a fallu plus de 10 jours mais à l’issue de la rencontre ils dansaient et chantaient ensemble, frères en humanité[6].
Oui, seule la Vraie Rencontre peut un jour mener à la Paix. Sinon, la violence risque de se transmettre de génération en génération…
Alors, cela nous invite à vivre cette Vraie rencontre dans notre quotidien avec nos proches. A nous entrainer à voir ce vivant en l’autre et en nous-mêmes. Pour se rencontrer, il s’agit de se donner à voir vraiment, et de voir vraiment l’autre. Oui, oser me donner à l’autre, m’offrir à son regard tel que je suis en vérité, avec mes émotions, mes blessures, mes besoins, mes élans et mes forces aussi. Être à l’écoute de ce qui est vivant en moi, être à l’écoute de ce qui est vivant en l’autre aussi, l’écouter vraiment, le voir vraiment tel qu’il est, dans toute son humanité, dans toute sa complexité peut-être, dans toute son altérité en tout cas. Sinon nous marchons déjà sur son territoire, nous passons en force, nous l’envahissons.
Oui, c’est une manière belle, profonde, pleine d’empathie et de compassion, qui prend parfois plus de temps mais qui crée, par cette rencontre de cœur à cœur, une vraie fraternité d’humains qui co-créent ensemble l’avenir, qu’ils soit petit ou grand, au lieu de cette juxtaposition d’individus souvent seuls, perdus, apeurés et divisés. Oui, c’est s’ouvrir à cette « énergie divine d’amour » à laquelle faisait allusion Marshall Rosenberg[7] l’initiateur de la Communication Non Violente qui peut se développer et incarner cette invitation de Jésus à « aimer son prochain comme soi-même[8] »
Alors pour la Paix, que faire ? Peut-être ne plus séparer l’engagement dans le monde et l’intériorité profonde.
Oui, prendre le temps de faire retour dans nos profondeurs, nous ouvrir au Tout-Autre, à cette grâce infinie qui nous aide à accueillir en pleine conscience notre réalité humaine, y compris l’émotion enfouie ou jaillissante, que l’on peut alors embrasser, apaiser, et exprimer en nudité, en authenticité. Se laisser rencontrer par le Tout-Autre, se laisser accueillir, se laisser ouvrir le cœur dans le silence intérieur…
Et de là, de ce cœur ouvert, paisible et plein de compassion, rejoindre l’autre dans sa vérité, dans sa profondeur. Les occasions sont infinies dans notre quotidien pour cultiver ces actes de paix auprès de nos proches, voisins, collègues…
Notre prière d’intercession et notre méditation de la compassion peuvent également embrasser et rejoindre tous les êtres, particulièrement ceux qui vivent l’horreur de la guerre et subissent la violence.
Notre engagement auprès de nos proches peut s’élargir aussi, si nous le pouvons, en œuvrant à notre manière auprès des plus démunis ou en soutenant des associations engagées pour la paix et la solidarité par exemple.
Ces actes de compassion, quels qu’ils soient, nous sortent de notre impuissance (même si parfois nous pouvons la ressentir) ou, pire de notre indifférence, et nous font nous sentir profondément reliés, dans notre commune humanité. La vraie compassion est alors source d’espérance et de joie.
Apprenons donc à nous voir nous-mêmes et à voir l’autre comme un être unique et merveilleux, dans toute sa beauté, sa vulnérabilité, ses joies et ses peines. C’est la véritable rencontre dont témoigne cet Evangile de Jésus et de Zachée, que nous vous proposons de visionner et d’écouter ce mois-ci avec une nouvelle vidéo suivie d’une méditation.
Beau chemin de Paix, pas à pas en chacun de nous et avec tous !…
Yannick.
[1] A propos de la violence économique : des études scientifiques, montrent que les pays qui ont le plus d’inégalités de revenus sont les pays qui enregistrent le plus de problèmes sociaux et de santé. En savoir plus sur : https://equalitytrust.org. Les Etats-Unis, dans cette corrélation, enregistre le plus mauvais score.
[2] La Cimade (à l'origine acronyme de Comité inter-mouvements auprès des évacués) est une de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d'asile et aux étrangers en situation irrégulière
[3] Institut Médico-Psychologique
[4] Ah, mesdames et messieurs les Préfets, si vous les rencontriez Vraiment ces femmes et ces hommes démunis, vous seriez sans doute plus cléments ! Mais vos maints dossiers administratifs vous privent de ces rencontres…et une signature dans un parapheur ne vous conduit-elle pas, pas à pas, à l’indifférence ?
[5] Un des slogans humanitaires de la CIMADE
[6] Rencontres organisées par le centre bouddhiste du Village des Pruniers
[7] Lire ce petit recueil de Marshall B. Rosenberg : « Les bases spirituelles de la Communication Non Violente ». Editions Jouvence.
[8] Evangile de Marc 12,31
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